épopées lyriques, avec des surprises, des coups de
théâtre, des explosions d’amour ou d’indignation,
des vers immenses faits pour être clamés sur quelque
promontoire, par un grand vent, dans les crépuscules.
— Où Victor Hugo cherche des drames et
montre le progrès de l’idée de justice, M. Leconte
de Lisle ne voit que des spectacles étranges et saisissants,
qu’il reproduit avec une science consommée,
sans que son émotion intervienne. On le lui
a beaucoup reproché. Assurément, chaque lecteur
est juge du plaisir qu’il prend, et je crains que
M. Leconte de Lisle ne soit jamais populaire ; mais
on ne peut nier que les sociétés primitives, l’Inde,
la Grèce, le monde celtique et celui du moyen âge
ne revivent dans les grandes pages du poète avec
leurs mœurs et leur pensée religieuse. Il n’est pas
impossible de s’intéresser à ces évocations, encore
que le magicien garde un singulier sang-froid. Elles
enchantent l’imagination et satisfont le sens critique.
Ces poèmes sont dignes du siècle de l’histoire.
Il est vrai, M. Leconte de Lisle ne voit point les âges avec l’œil de Michelet ou de Hugo. Il les verrait plutôt du même regard que ce corbeau positiviste, soixante fois centenaire, qui raconte ses aventures à l’abbé Sérapion :
Seigneur, dit le corbeau, vous parlez comme un homme
Sûr de se réveiller après le dernier somme ;
Mais j’ai vu force rois et des peuples entiers
Qui n’allaient point de vie à trépas volontiers.