Page:Lemaître - Les Contemporains, sér2, 1897.djvu/70

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conquistadores, nous les aimons surtout parce qu’ils diffèrent de nous, parce que leur fureur d’action amuse notre doute et notre mollesse ; mais M. de Heredia les aime parce qu’il leur ressemble un peu, parce qu’il sent encore tressaillir en lui quelque chose de leur âme. Il est de leur race, et ce qu’ils ont fait, il l’a rêvé.

C’est pourquoi il a si bien traduit la Véridique histoire de la conquête de la Nouvelle-Espagne, par le capitaine Bernal Diaz del Castillo, l’un des conquérants, et y a mis une préface qui est un très beau morceau d’histoire et qui faisait la joie et l’émerveillement du vieux Flaubert. Et c’est pourquoi il a consacré à ces grands aventuriers, outre quelques-uns de ses plus beaux sonnets, la plus longue pièce qu’il ait écrite : les Conquérants de l’or, sorte de chronique fortement versifiée et miraculeusement rimée et qui, sans sortir du ton d’un récit très simple et sans ornements, coupée seulement, çà et là, de paysages éclatants et courts, prend des proportions d’épopée. Écoutez cette fin, où l’image devient symbole :

    Cependant les soldats restaient silencieux,
    Éblouis par la pompe imposante des cieux.

    Car derrière eux, vers l’ouest, où sans fin se déroule
    Sur des sables lointains la Pacifique houle,
    Dans une brume d’or et de pourpre, linceul
    Rougi du sang d’un dieu, sombrait l’antique Aïeul
    De celui qui régnait sur ces tentes sans nombre.
    En face, la sierra se dressait haute et sombre.
    Mais, quand l’astre royal dans les flots se noya,
    D’un seul coup, la montagne entière flamboya