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Page:Lemaître - Les Contemporains, sér3, 1898.djvu/173

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cent nous plaît. C’est si vrai, que nous sommes enveloppés de mystère ! La science recule un peu la limite où il commence, et par là elle nous le fait oublier. Parce que nous voyons clair à deux ou trois pas autour de nous, nous ne nous souvenons plus qu’au delà de ce cercle de lanterne c’est le gouffre, c’est l’inexpliqué… Et pourtant, quoi qu’on en ait dit, le monde que la science nous permet de concevoir n’est peut-être pas si beau que celui d’André Fleuse. Sully Prudhomme s’écrie dans son enthousiasme candide :

  Il est tombé pour nous, le rideau merveilleux
  Où du vrai monde erraient les fausses apparences…

  Le ciel a fait l’aveu de son mensonge ancien.
  Et, depuis qu’on a mis ses piliers à l’épreuve,
  Il apparaît plus stable affranchi de soutien,
  Et l’univers entier vêt une beauté neuve.

Je l’ai cru autrefois, et je n’en suis plus si sûr. Nous avons sur le monde des notions que les anciens n’avaient pas ; mais notre puissance d’imaginer n’est pas plus grande que la leur. Nous connaissons maintenant que le soleil est à tant de mille lieues, qu’il y a des étoiles à des millions de lieues de la terre, etc. ; mais le voyons-nous ? nous le figurons-nous ? Non. Eh bien ! alors, en quoi ce ciel est-il plus beau que celui des anciens hommes ? Nous le savons plus grand qu’ils ne le savaient : nous ne l’imaginons pas plus grand qu’ils ne l’imaginaient. Or, la poésie n’est qu’imagination et sentiment. Trop de science la tue. Un