Page:Lemaître - Les Contemporains, sér3, 1898.djvu/309

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une occasion de les exciter, de les exaspérer, de les pousser à la curée. Toute âme un peu douce, un peu tendre, un peu soucieuse de l’équité, un peu pitoyable à ce peuple dont on n’a guère le droit d’exciter les appétits quand on n’a rien à lui donner, sera effrayée et scandalisée de l’œuvre de M. Rochefort. De toutes les pages qu’il a écrites depuis seize ans, il en est bien peu que je voudrais avoir sur la conscience.


III

C’est peut-être que je n’ai pas l’âme croyante. Mais un révolutionnaire doit l’avoir. Pour professer les opinions de M. Rochefort, il faut être bien sûr de son fait ; et cette furie négatrice ne saurait guère aller, semble-t-il, sans un très grand sérieux. Quand on est à ce point convaincu de l’injustice, de l’absurdité, de la monstruosité de l’état social, on ne doit guère trouver que cela prête à rire ; du moins on ne doit pas rire toujours. Car il ne s’agit pas ici de bagatelles. Les opinions que paraît avoir M. Rochefort sont de celles qui s’accordent le moins avec la gaieté des coq-à-l’âne et la plaisanterie de Duvert et Lauzanne. Je comprendrais plutôt ici l’éloquence tendue, travaillée, mais bien sincèrement haineuse, et sérieuse après tout, d’un Jules Vallès. Mais le badinage de M. Rochefort offense ma simplicité d’esprit. Chose surprenante, Nouméa même, la solitude, la souffrance, les épreuves de toutes sortes n’ont pu donner à ses haines ni à ses convictions