Page:Lemaître - Les Contemporains, sér3, 1898.djvu/354

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Et, en outre, il a pour lui toutes les jeunes femmes. Nul peut-être, à l’heure qu’il est, n’inspire à certaines âmes un culte plus tendre. Il est, pour beaucoup, le poète par excellence, l’ami, le consolateur, presque le directeur de conscience. En revanche, beaucoup d’hommes mûrs, surtout parmi les gaulois et parmi ceux qui sont fortement imprégnés de lettres classiques, ne peuvent pas le souffrir. Mais, qu’on l’aime ou non, il faut avouer que son esprit est une des résultantes les plus riches et les plus distinguées de la culture littéraire et morale de la seconde moitié du siècle.

Ce qu’il y a d’abord d’éminent en lui, c’est précisément cette curiosité intellectuelle et sentimentale, cette aptitude et aussi cette application à connaître, éprouver et comprendre les états d’âme les plus récents, tels qu’ils se manifestent dans les livres de nos écrivains les plus originaux. Lui-même résume ainsi le précieux contenu de ses Essais :

À l’occasion de M. Renan et des frères de Goncourt, j’ai indiqué le germe de mélancolie enveloppé dans le dilettantisme. J’ai essayé de montrer, à l’occasion de Stendhal, de Tourguéniev et d’Amiel, quelques-unes des fatales conséquences de la vie cosmopolite. Les poèmes de Baudelaire et les comédies de M. Dumas m’ont été un prétexte pour analyser plusieurs nuances de l’amour moderne et pour indiquer les perversions ou les impuissances de cet amour sous la pression de l’esprit d’analyse. Gustave Flaubert, MM. Leconte de Lisle et Taine m’ont permis de montrer quelques exemplaires des effets produits par la science sur des imaginations et des sensibilités diverses.