Page:Lemaître - Les Contemporains, sér4, 1897.djvu/148

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

énumérations de crimes, de meurtres et d’atrocités. C’est d’une prouesse de style et d’un pittoresque qui font passer en moi de petits frissons de plaisir. Il a des pages d’apocalypse qui sont de surprenantes clowneries. Le relief des détails, la plasticité de l’expression est telle que j’ai assez à faire d’admirer ce perpétuel prodige. Voici la fin d’une de ces joyeuses énumérations :

  Zeb plante une forêt de gibets à Nicée ;
  Christiern fait tous les jours arroser d’eau glacée
  Des captifs enchaînés nus dans les souterrains ;
  Galéas Visconti, les bras liés aux reins,
  Râle, étreint par les nœuds de la corde que Sforce Passe dans les œillets de sa veste de force ;
  Cosme, à l’heure où midi change en brasier le ciel,
  Fait lécher par un bouc son père enduit de miel ;
  Soliman met Tauris en feu pour se distraire ;
  Alonze, furieux qu’on allaite son frère,
  Coupe le bout des seins d’Urraque avec ses dents ;
  Vlad regarde mourir ses neveux prétendants,
  Et rit de voir le pal leur sortir par la bouche ;
  Borgia communie ; Abbas, maçon farouche,
  Fait, avec de la brique et des hommes vivants,
  D’épouvantables tours qui hurlent dans les vents…

etc… car ça continue. Hugo est le monstre de la parole écrite. Il résume et dépasse tous les grands rhéteurs de culture latine qui ont excellé dans le développement oratoire ou pittoresque. Imaginez je ne sais quel taureau de Phalaris d’où sortirait, amplifiée, la voix de Lucain, de Juvénal, de Claudien, — et aussi de d’Aubigné, de Malherbe, même de