Page:Lemaître - Les Contemporains, sér4, 1897.djvu/39

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maîtresse d’Anacréon jusqu’à celle de Baudelaire, en passant par Délie, Cynthie, Béatrix, Laure, Cassandre, Elvire… — si nous les avions sous les yeux telles qu’elles ont été, qui sait ? elles ressembleraient peut-être à une bande de trottins, de bonnes et de figurantes, et nous nous dirions : — « N’était-ce que cela ? » Ô bienfaisante poésie, fille de l’éternelle illusion !

Enfin, il est certain que Baudelaire n’a pas été gâté par la vie. Il avait sept ans quand sa mère se remaria au colonel Aupick. À vingt ans, pour quelque désordre qu’on ignore, il est embarqué par son beau-père pour Calcutta. À son retour, il entre en possession de son patrimoine, soixante-dix mille francs. En deux ans, il en dépense la moitié ; on lui donne un conseil judiciaire. Il se refuse obstinément à faire autre chose que de la littérature. Il vit donc, pendant vingt ans, de la rente des trente-cinq mille francs qui lui restaient, et du produit de sa plume (produit fort mince). Or, il ne fait pas, pendant ces vingt ans, plus de dix mille francs de dettes nouvelles. Vous jugez que, dans ces conditions, il n’a pas dû se livrer souvent à des orgies néroniennes ! Il s’est débattu jusqu’à la fin dans les plus cruels embarras d’argent. Sur ce point, sa correspondance fait mal à lire… Joignez à cela sa maladie nerveuse, dont il put bien hâter les progrès par des excès de toute sorte, mais qui était d’ailleurs héréditaire. « Mes ancêtres, écrit-il, idiots ou maniaques, dans des appartements solennels, tous victimes de terribles