Page:Lemaître - Les Contemporains, sér4, 1897.djvu/42

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derrière toute chose ; on croit ou l’on feint de croire au diable ; on l’envisage tour à tour ou à la fois comme le père du Mal ou comme le grand Vaincu et la grande Victime ; et l’on se réjouit d’exprimer son impiété dans le langage des pieux et des croyants. On maudit le « Progrès » ; on déteste la civilisation industrielle de ce siècle, comme hostile au mystère ; on la juge écoeurante de rationalisme, et, en même temps, on jouit du pittoresque spécial que cette civilisation a mis dans la vie humaine et des ressources qu’elle apporte à l’art de développer la sensibilité…

Le baudelairisme serait donc, en résumé, le suprême effort de l’épicuréisme intellectuel et sentimental. Il dédaigne les sentiments que suggère la simple nature. Car les plus délicieux, ce sont les plus inventés, les plus savamment ourdis. Le fin du fin, ce sera la combinaison de la sensualité païenne et de la mysticité catholique, s’aiguisant l’une par l’autre, — ou de la révolte de l’esprit et des émotions de la piété. Comme rien n’égale en intensité et en profondeur les sentiments religieux (à cause de ce qu’ils peuvent contenir de terreur et d’amour), on les reprend, on les ravive en soi, — et cela, en pleine recherche des sensations les plus directement condamnées par les croyances d’où dérivent ces sentiments. On arrive ainsi à quelque chose de merveilleusement artificiel… Oui, je crois que c’est bien là l’effort essentiel du baudelairisme : unir toujours