Page:Lemaître - Les Contemporains, sér4, 1897.djvu/43

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deux ordres de sentiments contraires et, au premier abord, incompatibles, et, au fond, deux conceptions divergentes du monde et de la vie, la chrétienne et l’autre, ou, si vous voulez, le passé et le présent. C’est le chef-d’œuvre de la Volonté (je mets, comme Baudelaire, une majuscule), le dernier mot de l’invention en fait de sentiments, le plus grand plaisir d’orgueil spirituel… Et l’on comprend qu’en ce temps d’industrie, de science positive et de démocratie, le baudelairisme ait dû naître, chez certaines âmes, du regret du passé et de l’exaspération nerveuse, fréquente chez les vieilles races…

Maintenant il va sans dire que le baudelairisme est antérieur à Baudelaire. Mais les Fleurs du mal en offrent l’expression la plus voulue, la plus ramassée et, somme toute, la plus remarquable jusqu’à présent. Sans doute, le souffle y est court et haletant ; les obscurités et les impropriétés d’expression n’y sont pas rares, — ni même les banalités. Avec cela, une douzaine au moins de ces poèmes sont fort beaux. Et vous trouverez dans tout le livre de ces vers qui appartiennent en propre à Baudelaire, des vers qu’on n’avait pas faits avant lui, vers singuliers, « troublants », charmants, mystérieux, douloureux…

Ce qui a fait tort à Baudelaire, ce sont ses imitateurs, dont la plupart sont intolérables. Il leur doit de paraître aujourd’hui faux et suranné à beaucoup d’honnêtes gens. Mais lui-même avait écrit : « Créer