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Page:Lemaître - Les Contemporains, sér4, 1897.djvu/52

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mais de s’en moquer sans qu’ils s’en doutent, et sans descendre à la satire ni à la bouffonnerie, lesquelles sont indignes du sage par trop de passion ou d’expansion. Tout ce qu’il se permet, c’est de mystifier les autres, discrètement. Être seul à savoir que l’on raille, c’est le dernier raffinement de la raillerie. Mystifications, le Théâtre de Clara Gazul, la Guzla, la Vénus d’Ille, Lokis, etc.

Autre plaisir. Mérimée aime à voir se développer librement, bonne ou mauvaise, la bête humaine ; et quand elle est belle, il n’est pas éloigné de lui croire tout permis. Il goûte par-dessus tout les époques et les pays de vie ardente, de passions fortes et intactes : le XVIe siècle, la Corse des maquis, l’Espagne picaresque. — Et ce sceptique a écrit le plus beau récit de bataille qui soit : L’enlèvement de la redoute.

Il put y avoir, dans la sérénité de ce pessimisme et dans la pudeur avec laquelle il se dissimule, quelque affectation ; qui le nie ? Cette attitude n’en a que plus de prix. Elle est l’effort d’une volonté très hautaine et d’un très délicat orgueil. Observer (comme fit Mérimée) les règles de la plus élégante honnêteté, et cela sans croire à rien d’absolu en morale, c’est une manière de protestation contre la réalité injuste ; et c’est une protestation contre la réalité douloureuse que de ne pas daigner se plaindre devant les autres. Mérimée s’est montré, vis-à-vis de l’univers et de la cause première, quelle qu’elle soit, poli, retenu et dédaigneux, comme il était