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Page:Lemaître - Les Contemporains, sér4, 1897.djvu/57

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vie dans des habits spéciaux, redressé, embaumé, pétrifié dans une attitude d’éternelle chevalerie, de dandysme ininterrompu et d’obstinée jeunesse. C’est un maître écrivain, éloquent, abondant, magnifique, précieux, à panaches, à fusées, extraordinairement dénué de simplicité… Avec cela, il m’est plus étranger qu’Homère ou Valmiki. Il m’inspire l’admiration la plus respectueuse, mais la plus embarrassée, la plus effarée, la plus stupéfaite.

Ce n’est pas ma faute. Ces grands airs, ces gestes immenses, ces prédilections farouches, cette superstitieuse vision de l’aristocratie, cette peur et cet amour du diable, ce catholicisme qui ne recouvre aucune vertu chrétienne, cette impertinence travaillée, ces colères, ces indignations, cet orgueil, cette façon emphatique et terrible de prendre les choses…, j’ai une peine infinie à y entrer. Ce qui rend l’âme de M. d’Aurevilly peu accessible à ma bonhomie, ce n’est pas qu’il soit aristocrate dans un siècle bourgeois, absolutiste dans un temps de démocratie, et catholique dans un temps de science athée (je vois très bien comment on peut être tout cela) ; mais c’est plutôt la manière dont il l’est. Je n’ignore pas qu’en réalité les âmes n’appartiennent point toutes au temps qui les a fait naître, qu’il y a parmi nous des hommes du moyen âge, de la Renaissance et, si vous voulez, du XXe siècle. Je consens donc et même je suis charmé que M. d’Aurevilly soit à la fois un croisé, un mousquetaire, un roué et un chouan. Mais