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Page:Lemaître - Les Contemporains, sér4, 1897.djvu/56

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-être parce que cette âme a quelque ressemblance intime avec la nôtre. Mais, par contre, ne vous est-il pas arrivé, en présence de tel homme obscur ou célèbre, de sentir que vous êtes bien réellement devant un masque impénétrable dont l’intérieur ne vous sera jamais révélé ? J’ai eu souvent cette impression gênante. Il y a des hommes que j’ai rencontrés et à qui j’ai parlé vingt fois, et qui, j’en suis certain, me resteront toujours incompréhensibles. Il me semble qu’ils n’ont pas de centre, pas de « moi », qu’ils ne sont qu’un « lieu » où se succèdent des phénomènes physiologiques et intellectuels. Je perçois chez eux des séries de pensées, d’attitudes, de gestes ; mais, quand ils me parlent, ce n’est point une personne qui me répond, c’est quelque merveilleux automate. Je pourrai les admirer ; ils me communiqueront peut-être ou me suggéreront des idées, des sentiments que je n’aurais pas eus sans eux ; mais j’ai, du premier coup, la certitude que je ne les aimerai jamais, que je n’aurai jamais avec eux aucune intimité, aucun abandon, et qu’ils seront éternellement pour moi des étrangers.

Ce que je dis là de certains hommes, je le dis aussi de certains écrivains.

M. Barbey d’Aurevilly m’étonne… Et puis… il m’étonne encore. On me cite de lui des mots d’un esprit surprenant, d’un tour héroïque, qui joignent l’éclat de l’image à l’imprévu de l’idée. On me dit qu’il parle toujours comme cela, et qu’il traverse la