Page:Lemaître - Les Contemporains, sér4, 1897.djvu/76

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

encore éprouvée. Mais, comme j’ai au fond l’esprit timide, j’ai besoin, avant de tenter l’aventure, de m’entourer de quelques précautions. Je m’abrite derrière deux hypothèses, invérifiables l’une et l’autre, et que je n’ai qu’à donner comme telles pour n’être point accusé soit de témérité, soit de snobisme.

Premièrement, je suppose que les poètes dits décadents ne sont point de simples mystificateurs. À dire vrai, je suis tenté de les croire à peu près sincères — non point parce qu’ils sont terriblement sérieux, solennels et pontifiants, mais parce que voilà déjà longtemps que cela dure, sans un oubli, sans une défaillance. Il ne leur est jamais échappé un sourire. Une mystification si soutenue, qui réclamerait un tel effort, et un effort si disproportionné avec le plaisir ou le profit qu’on en retire, serait, il me semble, au-dessus des forces humaines. Puis j’ai coudoyé quelques-uns de ces initiés, et j’ai eu, sur d’autres, des renseignements que j’ai lieu de croire exacts. Il m’a paru que la plupart étaient de bons jeunes gens, d’autant de candeur que de prétention, assez ignorants, et qui n’avaient point assez d’esprit pour machiner la farce énorme dont on les accuse et pour écrire par jeu la prose et les vers qu’ils écrivent. Enfin, leur ignorance même et la date de leur venue au monde (qui fait d’eux des esprits très jeunes lâchés dans une littérature très vieille, des sortes de barbares sensuels et précieux), leur vie de