Page:Lemaître - Les Contemporains, sér6, 26e mille.djvu/373

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chose qu’un plaisir d’orgueil et d’ironie à constater que le monde est inintelligible et mauvais ; autre chose qu’un plaisir de langueur à s’abandonner aux mélancolies que versent certains crépuscules ou que distillent certains brouillards ; bref, autre chose que de la littérature. J’aurais dû m’apercevoir que la tristesse secrète de notre ami n’avait rien de concerté et n’avait rien de délicieux ; j’aurais dû deviner chez lui le rongement d’une idée fixe, le ravage continu d’une épouvante. Pour lui, très réellement, tout était vanité, et presque tout apportait une souffrance je le vois bien à l’heure qu’il est. Les contes où « il a peur », — comme le Horla et une demi-douzaine d’autres dont les titres m’échappent, — n’étaient point des fantaisies ; non plus que, dans Bel Ami, la description du détraquement lent d’un cerveau par l’idée ininterrompue de la mort. Pierre, dans Pierre et Jean et le héros de Fort comme la mort, et celui de Notre Coeur, durant ses promenades dans la forêt de Fontainebleau, nous montrent à quel point le travail d’une idée fixe, altérant sans cesse, pour celui qui en est possédé, les rapports habituels des choses, le peut rapprocher de la folie. Je me rappelle les longues fuites de Maupassant hors de la société des hommes, ses solitudes de plusieurs mois, en mer ou dans les champs, ses tentatives de retour à une vie simplifiée, toute physique et tout animale, où il pût oublier l’ennemi sourd, l’ennemi patient qu’il portait en lui ; puis, quand il rentrait parmi nous,