Page:Lemaître - Les Contemporains, sér6, 26e mille.djvu/72

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sans avoir eu jamais un sou d’économies, la propriété sans posséder un pouce de terrain, l’aristocratie, et j’ai à peine pu rencontrer deux aristocrates ; la royauté, dans un siècle qui n’a pas vu et ne verra pas un roi. J’ai défendu tout cela par amour du peuple et de la liberté, et je suis en possession d’une réputation d’ennemi du peuple et de la liberté, qui me fera « lanterner » à la première bonne occasion. Cependant ma pensée est droite et logique : mais j’ai trop cru au devoir, et j’en ai trop parlé.

C’est la seule chose qui me console, quand je considère, hélas ! tout ce que je n’ai pas fait.

J’ai quelque idée que, si Veuillot vivait encore, il préférerait le moment où nous sommes, malgré ses misères inouïes, à l’époque de la monarchie de Juillet ou aux dix dernières années du second Empire. Il verrait avec espoir la fin prochaine de ce qu’il a le plus haï, la fin du parlementarisme bourgeois et du catholicisme libéral, et de malentendus et de mensonges également compromettants pour la liberté et pour la religion. Plus menaçante, la situation actuelle lui paraîtrait plus nette. Il serait content, comme Ajax, de combattre dans plus de lumière, fût-ce dans une lumière d’orage. Il penserait que le rationalisme révolutionnaire, étant plus près de porter ses derniers fruits, est plus près de se juger lui-même par là, et que de sa tragique banqueroute peut sortir notre salut.

Certaines inquiétudes morales de ce temps lui sembleraient d’un heureux augure : il les jugerait semées dans les esprits par une suprême « préve-