Page:Lemaître - Les Contemporains, sér6, 26e mille.djvu/80

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sang et de larmes. Il se sent vivre et il se sent mourir… Il prend l’énigme au sérieux ; il va au sphinx, il l’interroge parmi les débris de ceux qui furent dévorés. Il a été vaincu… Quiconque voudra l’étudier le plaindra. Il est plus vaincu que d’autres parce qu’il pouvait mieux vaincre. Les ossements qu’il a laissés sont d’un géant.

Et vous comprendrez mieux la magnanimité de ce jugement, si vous vous souvenez du vers abominable où Victor Hugo avait insulté Louis Veuillot dans sa mère.

Vers la fin du joli chapitre de critique de Çà et là, Veuillot, après quelques jugements sévères sur la littérature de ce temps, rentre en soi :

Je ne crains pas que l’on m’ahonte en m’opposant à moi-même le peu que je vaux. Je connais ma faiblesse. Si je n’aimais la vérité, je me condamnerais au silence ; mais la vérité a encore sa force dans les plus humbles voix, et elle commande la hardiesse aux plus humbles esprits. Sa lumière me remplit d’une aversion sans borne pour les chefs-d’œuvre d’un art où je ne suis qu’un pauvre vieil écolier, lorsque ces chefs-d’œuvre n’ont pas la marque du vrai…

Cette aversion avait ses défaillances. Veuillot céda souvent à la tentation de pardonner beaucoup au talent. Il aima Musset, il ne détesta point Gautier ; il adora Sainte-Beuve, sans le dire tout à fait. Et que d’autres on sent qu’il n’ose pas aimer ! Je crois bien qu’il ne fut sans entrailles, même littéraires, que contre Renan. Et je songe : « Quel pauvre être de volupté suis-je donc, moi, pour aimer à la fois, — et peut-être également, — Renan et Veuillot ! »