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était au rêve mélancolique et tendre. Rêve toujours surveillé par sa conscience de chrétien ; car c’est dangereux, la nature et la musique, et la mélancolie, et même la tendresse. Mais souvent on devine que ses luttes et ses haines lui pesaient et que, sans cette surveillance virile qu’il exerçait sur son âme, il eût aisément glissé à la contemplation chantante, comme un simple poète lyrique, ou à l’indulgence universelle et inactive, et à la douceur des larmes oisives, de celles dont on jouit comme d’une volupté et qui ne purifient point. La poésie n’est pas toujours absente de son oeuvre même de polémiste. Du moins on la sent, par endroits, toute proche, et je pense que Veuillot est le seul de nos grands journalistes de qui cela se puisse dire.

On sait et on convient qu’il fut un remarquable écrivain : est-on persuadé qu’il est de tout premier rang, et par l’importance des idées qu’il a traduites, et par la perfection de la forme ? Ce n’est point sans doute un méconnu ; mais il n’est pas connu tout entier. Dans ce dur monde, on gagne, du moins un temps, à être du côté des plus forts ; et Veuillot, catholique, fut de l’autre.

Entre les écrivains qui comptent, Veuillot me paraît celui qui est le mieux dans la tradition de la langue, tout en restant un des plus libres, des plus personnels. Il n’apprit le latin qu’à vingt-cinq ans mais il était nourri de la moelle de nos classiques. Il est soucieux de pureté et même de purisme, jus-