Page:Lemaître - Les Contemporains, sér7, Boivin.djvu/191

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d’avant 1870 leur eût crié : « Courage ! » et se fût portée à leur secours.

Nous ne pouvions le faire, c’est convenu. Mais il est des choses que nous pouvions dire. Nous pouvions tout au moins — avant de nous rabattre à l’« autonomie » crétoise avec vassalité et tribut payé à l’égorgeur — exprimer le désir qu’il fût permis à la Crète de disposer d’elle-même par un plébiscite.

Je connais là-dessus les propos des hommes « sensés » qui se trouvent être presque tous, je ne sais pourquoi, des hommes d’argent. « Laissez donc ! les Turcs sont des gens très honnêtes. Je vous assure que leur moralité est fort supérieure à celle des chrétiens. » Il n’en est pas moins fâcheux que ces honnêtes gens, mus par le plus respectable des sentiments religieux, deviennent, à certains moments, de si surprenants massacreurs. Et puis, j’ai beau me raisonner, ces chrétiens, si peu recommandables qu’ils soient, me sont cependant plus proches que les Turcs. J’ai pu constater l’impénétrabilité réciproque (sinon par le fer et les balles) des chrétiens et des musulmans. Il doit être horrible, pour un chrétien même médiocre, d’être gouverné par des hommes qui nous sont si profondément étrangers. Il est décidément regrettable que l’Europe du XVe siècle ait été trop distraite ou trop occupée pour barrer la route à des conquérants dont l’âme diffère à ce point de la nôtre.