Page:Lemaître - Les Contemporains, sér7, Boivin.djvu/233

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aura la joie infinie de se savoir affranchi de la torture ou de la honte de son mal ou de son infirmité…

Et ce spectacle est aussi très bon pour l’intelligence. On conçoit, en voyant faire l’opérateur, un ordre d’activité qui vous est complètement étranger, — aussi étranger que celui du grand compositeur ou du grand mathématicien. On essaye de s’imaginer les préoccupations habituelles, l’état d’esprit, les impressions, les angoisses et les plaisirs de cet homme qui taille cette chair, qui répare ces organes, qui refait de la vie d’une manière plus visible, plus immédiate et plus sûre que le médecin, et qui a l’orgueil de créer presque après le Créateur. On songe qu’il doit éprouver, dans sa besogne libératrice, une sorte d’exaltation austère ; qu’il doit, à sa façon, « aimer le sang »… On se dit que le plus grand bienfait qu’un homme puisse attendre d’un autre homme, c’est le chirurgien qui le dispense. Et cela nous rend modestes sur la littérature.

Enfin, comme il s’agit ici, après tout, de choses qui se voient et se touchent, il suffit au spectateur le plus ignorant de connaître le but poursuivi pour s’intéresser aux gestes de l’opérateur. On s’associe aux explorations de ses doigts, à ses découvertes, à ses hésitations, à ses décisions, aux « réussites » successives dont se composera l’opération totale. On le suit avec une curiosité passionnée ; on le seconde de la ferveur de son désir ; on a pour le « patient » une sympathie, une pitié qu’on ne saurait