Page:Lemaître - Les Contemporains, sér7, Boivin.djvu/50

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

« Je garderai donc cette carte qui me touche et m’honore… Je l’ai approchée de mon coeur brisé. Je ne verrai pas de quelque temps M. Auber lui-même. Il ne faut pas éclater en sanglots devant ces âmes harmonieuses qui chantent pour consoler le monde. J’ai horreur d’interrompre ces grands missionnaires de Dieu. » Auber missionnaire de Dieu… Après celle-là, il faut tirer l’échelle, — l’échelle de Jacob.

Vous avez vu tout à l’heure que Sainte-Beuve revenait souvent dans ces lettres. Il y apparaît vraiment bon, d’une bonté active et effective. Vous savez qu’il s’était attelé à la gloire de cette humble femme. Sainte-Beuve est le meilleur garant de la qualité d’âme de Marceline et de son génie intermittent, attendu qu’il fut, à coup sûr, le plus clairvoyant de ses amis. Il traduisait en souriant la devise de Marceline : Credo, par : Je suis crédule. Évidemment elle le divertissait et l’attendrissait à la fois ; elle lui inspirait un respect mêlé de curiosité amusée, et qui cependant lui mouillait un peu les yeux. Et enfin Sainte-Beuve faillit épouser Ondine, la fille aînée de Mme Valmore ; et c’est une histoire qui vaut peut-être la peine d’être brièvement contée, d’autant plus que cette Ondine ne fut point une personne négligeable[1].

  1. Il resterait à définir la profonde et l’originale piété de Marceline ; puis à caractériser sa poésie, — poésie d’ignorante géniale, poésie admirablement passionnée et spontanée (parmi quelque naïf fatras) essentiellement musicale, et qui tantôt fait ressouvenir de Lamartine, tantôt fait présager Verlaine. Mais j’ai dû interrompre cette étude, et je suis aujourd’hui trop loin du courant de sensibilité qu’il faudrait pour la reprendre.