Page:Lemaître - Les Rois, 1893, éd2.djvu/35

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heures par jour, gagne tout juste de quoi ne pas laisser sa femme et ses petits mourir de faim ; je songe à de plus misérables encore, et je n’ai pas le coeur tranquille… Et, quant à cette hiérarchie sociale dont vous parlez, j’ignore si elle est l’œuvre de Dieu, mais je sais qu’elle fut, à l’origine, l’œuvre de la violence des hommes, et cela atténue le respect qu’elle m’inspire… Pour la première fois de ma vie, je vous dis toute ma pensée, mon père. Vous ne m’en voudrez pas ?

— Nous ne parlons pas la même langue, mon fils. Nous pourrions converser longtemps ainsi sans nous comprendre. Cela est singulier. Vous avez été un bon fils, vous avez eu une jeunesse sérieuse, je n’ai jamais eu de reproche à vous faire, et cependant il y a toujours eu entre nous je ne sais quoi qui nous séparait. Ce n’est pas ma faute. Votre éducation a été un de mes grands soucis, et je me suis efforcé de former en vous, soit par les leçons, soit par l’exemple, une âme royale. Vous laissiez faire, vous n’étiez point indocile ; mais, chaque jour, je vous sentais vous éloigner de moi…

Le vieillard se tut. Une larme pointait au coin de ses yeux voilés par l’âge, trop petite pour couler. Il reprit :