Page:Lemaître - Les Rois, 1893, éd2.djvu/91

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Cette plaine lui en rappelait d’autres, très loin, là-bas, en Courlande, où elle avait passé son enfance. Un vieux château au milieu des bruyères, des bois et des étangs. Sa mère, la comtesse de Thalberg, passait les journées, étendue sur une chaise longue, à lire des romans français. Son père était presque toujours à Pétersbourg. Frida avait su depuis qu’il y menait une « fête » effrénée et morne, jouant un jeu de fou, et que c’était pour cela que l’immense domaine diminuait tous les ans de quelques fermes vendues.

Frida, abandonnée aux soins des serviteurs, vivait dehors, dans les champs, parmi les moujicks. Ils étaient ses amis ; ils l’adoraient à cause de sa pâle beauté diaphane de madone-enfant et de sa bonté de petite fille élue.

Une petite mendiante sans parents, Annouchka, de deux ou trois ans plus âgée qu’elle, s’était éprise pour Frida d’une passion absolue, d’un amour obéissant de bon chien. Maigre, criblée de taches de son, les yeux luisants à travers des cheveux en broussailles, les pieds nus, traînant des haillons sans couleurs, ce qu’Annouchka avait de mieux, c’était une grande bouche meublée de petites dents courtes qu’elle montrait continuellement. Oh ! les bonnes