Page:Lemaître - Les Rois, 1893, éd2.djvu/96

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Le comte laissait à sa femme et à sa fille cinquante ou soixante mille roubles. Et il s’en allait en Amérique, pour y chercher fortune.

La comtesse supportait ces désastres assez tranquillement, protégée et comme étoupée par sa mollesse de nature. Elle s’installait à Pétersbourg dans un petit appartement, retrouvait quelques parents, d’ailleurs peu empressés, retombait bientôt dans son inertie de dormeuse et de liseuse de romans. Mais Frida étouffait : elle regrettait sa libre vie et ses amis les moujiks. Puis un irrésistible désir s’emparait d’elle : revoir, ne fût-ce qu’une fois, son grand-père. Elle ne pensait qu’à lui ; elle se le figurait chargé de grosses chaînes et couché sur la paille dans un trou noir, comme les prisonniers des contes et des mélodrames, et le cœur de l’enfant se gonflait d’un amour et d’une pitié qui lui faisaient mal, affreusement mal. Elle en dépérissait. Elle insista si fort et si longtemps que la comtesse moins par piété filiale que par l’incapacité de résister à de continuelles supplications, séduite aussi peut-être par la couleur romanesque de la démarche, demanda et obtint la faveur d’aller visiter son père à la maison de force.

Si elle avait su ! Frida avait voulu partir sur-le-