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EPITAPHE EN MANIERE DE DIALOGUE.


NOSTRE EAIGE.


Nostre eaige est brief ainsi comme des fleurs
Dont les couleurs reluisent peu d’espasse
Le temps est court et tout rempliz de pleurs
Et de douleurs qui tout voit et compasse.
Joye se passe, on s’esbat, on solasse
Et entrelasse un peu de miel begnin
Avec l’amer du monde et le venin.

Force se pert, toute beauté finist
Et se ternist ainsi comme la rose
Qui au matin tant vermeille esparnist,[1]
Au soir brunist, c’est donc bien de chose.
L’homme propose, en apres dieu dispose,
Faisons donc pose[2] à tous mondains delis :
Laissons jardins, roses, flourons et lis.

Et ne plantons ou clos de nostre cueur
Dont la liqueur vault beaucoup s’elle est bonne.
Sinon trois fleurs de tres noble vigueur
Qui de langueur n’attaignent point la bonne
Tout bien foisonne et par accort résonne
Et s’amaisonne en ceulx qui dispensées
Ont ces trois fleurs qu’on nomme trois pensées.

L’une des trois quant bien la planterons
Tend ses flourons vers ung seul Dieu celeste,
L’autre à soy propre ancre ses navirons
Soubz termes rondz et sans quelque moleste,
La tierce est preste et sans cesser s’apreste

  1. Espanist.
  2. Pause.