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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


J’aime surtout les fins et clairs paysagistes,
Dans les brumes du Nord maîtres si lumineux ! —
Ces profonds ingénus, humbles et grands artistes,
Assurément portaient une lumière en eux.

Bien peu leur suffisait : ils peignaient à leur guise
Un rayon de soleil s’arrêtant sur un pré,
Quelque moulin tournant de la Gueldre ou la Frise,
Un vieux hêtre d’automne au feuillage empourpré,

Ou de profondes cours d’ancienne hôtellerie. —
Ruysdaël, Van der Heyden, Hobbéma, Van der Meer,
Comprenaient la nature, ou sévère ou fleurie,
Et les hameaux des bois et les villes de mer.

Comme elles s’enfuyaient leurs vastes plaines basses
Où, flairant l’air salin, le tranquille bétail
Pâture avec lenteur les hautes herbes grasses,
Dans le flot de verdure où trempe son poitrail ;

Où, consultant des yeux l’atmosphère brumeuse
Qui s’éclaire dans l’Est, un grave ruminant
Regarde le soleil se lever sur la Meuse,
Dans les joncs et roseaux partout s’illuminant !

Et les maisons d’un port, dont les hautes rangées
S’éveillent à la fois dans le jour matinal,
Apparaissent au loin, clairement imagées,
Dans le calme et profond miroir d’un grand canal.

De vieux marins, fumant au seuil de leur cabane,
Qui, dans les mers du Sud, ont navigué longtemps,
Accompagnent des yeux dans le ciel diaphane,
Aux bords de l’horizon, les navires partants.