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ALBERT GLATIGNY.


Regardant le ciel pur rire à travers ton verre.
Tu chantais, Alexandre, en libre et franc trouvère,
Tes amours, tes gaîtés, comme nous faisons tous ;
Les rimes s’échappaient bruyantes par les trous
De ton cerveau fêlé.


                                   Certes, plus d’un notable,
Le soir, haussait l’épaule en se mettant à table,
Lorsque tu revenais, par la porte d’Orbec,
Maigre comme un héron qui n’a pâture au bec,
Le nez rouge, les yeux ouverts sur les étoiles,
Dans un oubli profond des fabricants de toiles,
De rêver dans les champs aux gestes et hauts faits
D’Alexandre et Porus, ces chevaliers parfaits
Qui combattaient sous l’œil de madame la Vierge.
Que t’importait cela ? Dans ton manteau de serge,
Tu passais indulgent, et scandant sur tes doigts
Les syllabes d’un vers entendu dans les bois.


Mais les mètres anciens te gênaient. Ta pensée
Gaillarde en leurs anneaux étroits était froissée.
Au cidre généreux il faut un vaste fût ;
Tu crias : « De l’audace ! » et l’alexandrin fut.


Eh bien, parmi tous ceux, faiseurs de tragédies,
De drames, de sonnets, de strophes engourdies,
Qui te prennent ton vers journellement, pas un,
Illustres, ignorés, gras, bien repus, à jeun,
Pas un, mon vieux ami, qui de toi se souvienne !
La gloire de ce vers cependant est la tienne.
Ton poème est mortel comme ennui, j’y consens,
Mais tu créas le moule où des fondeurs puissants