Malgré les morts qu’elles recouvrent,
Malgré cet effroyable engrais,
Voici leurs calices qui s’ouvrent,
Comme l’an dernier, purs et frais.
Comment a bleui la pervenche,
Comment le lis renaît-il blanc,
Et la marguerite encor blanche,
Quand la terre a bu tant de sang ?
Quand la sève qui les colore
N’est faite que de sang humain,
Comment peuvent-elles éclore
Sans une tache de carmin ?
Leur semble-t-il pas que la honte
Des vieux parterres envahis
Jusques à leur corolle monte
Des entrailles de leur pays ?
Sous nos yeux l’étranger les cueille ;
Pas une ne lui tient rigueur,
Et, quand il passe, ne s’effeuille
Pour ne point sourire au vainqueur ;
Pas une ne dit à l’abeille :
« Je suis cette fois sans parfum ! »
Au papillon qui la réveille :
« Cette fois tu m’es importun ! »
Pas une, en ces plaines fatales
Où tomba plus d’un pauvre enfant,
N’a, par pudeur, de ses pétales
Assombri l’éclat triomphant.
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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.