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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


LA SŒUR DE L’AMOUR




Lorsque le monde enfant s’éveillait dans l’ivresse,
Nonchalamment bercé par les brises de l’air,
Que l’hymne insoucieux d’une libre allégresse
Soupirait dans les bois et flottait sur la mer,

L’Amour naquit, l’Amour qui s’élançait des ondes,
Épris de sa jeunesse et fier de sa beauté,
Jetant sur les vallons et les plaines fécondes
Le regard calme et doux d’une divinité.

Il allait, voltigeant dans sa grâce enfantine,
Comme le frère aîné des lis et des oiseaux :
Il écoutait la voix de la source argentine ;
Il se laissait charmer par la chanson des eaux ;

Et, tandis qu’à ses pieds la Nature ravie
Palpitait et lançait les germes bondissants,
Et de ses larges flancs faisait jaillir la vie
En corps épanouis, en arbres frémissants,

Il disait : « Je suis Dieu, je suis seul, je suis maître.
« Partout des jeux, partout des danses et des chœurs !
« L’homme par le bonheur apprend à me connaître,
« Tout chante à ma venue et les nids et les cœurs.

« Ô terre, dans ton sein je sens courir des fièvres ;
« Des frissons inconnus glissent dans les forêts ;
« Partout je vois s’unir les fleurs roses des lèvres,
« Et les premiers amants sollicitent mes traits.