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Page:Lemerre - Anthologie des poètes français du XIXème siècle, t2, 1887.djvu/407

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EMMANUEL DES ESSARTS.


« Quel long tressaillement de délire et de joie
« Dans les ravins profonds et sous les myrtes verts !
« Je nais et tout fleurit, tout vibre, tout flamboie,
« Je suis le jeune roi de ce jeune univers. »

Et ce dieu nouveau-né que sa puissance enivre,
Ainsi qu’une secrète et magique liqueur,
Heureux de commander et plus heureux de vivre,
Sur le monde asservi posait un pied vainqueur,

Quand près de lui soudain une vierge plaintive,
Sombre comme un fantôme en ses noirs vêtements,
Se dressa, consternant la nature craintive,
Et jeta l’épouvante aux gaités des amants.

Ombre mystérieuse et tragiquement belle,
Avec un regard plein d’une triste douceur,
Et se penchant vers lui : « Cher Amour, lui dit-elle,
« Je viens à toi, je suis ta compagne, ta sœur.

« Tu ne me connais pas ! Moi je suis la Souffrance.
« Les dieux nous ont unis pour un long avenir ;
« Sans doute tu me crains dans ta jeune ignorance ;
« Mais ton âme apprendra plus tard à me bénir.

« Dans les cœurs qu’à vingt ans ton soleil illumine
« Et vient incendier de ses rouges splendeurs
« Moi je prolongerai l’illusion divine
« Et les enchantements ingénus des candeurs.

« Par l’obstacle jaloux et l’anxieuse attente,
« Par tous les freins cruels imposés au désir,
« Par les retards mortels à l’ardeur haletante,
« Je viens purifier l’extase du plaisir.