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LOUIS-XAVIER DE RICARD.


La Nuit rêveuse et douce a ceint sa tête brune
D’un bandeau scintillant parsemé d’yeux ouverts ;
Les rayons d’argent froid, qui tombent de la lune,
Sur ses cheveux de jais plaquent des reflets verts.

Elle allonge ses bras d’où ses voiles noirs pendent
À lents plis, imprégnés des pavots du sommeil,
Et troués de clartés mystiques, qui répandent
Sur l’ebène de l’ombre un or fauve et vermeil.

Et ce vent, qui fraîchit, vient de la mer lointaine ;
La gaze de sa robe a glissé sur les eaux,
Et déploie en traînant une odeur incertaine
De sels marins mêlés aux verdeurs des roseaux.

Et les nuages blonds se rembrunissent : l’ombre
Voit, à ses flancs grondants, serpenter des éclairs ;
On dirait d’un vaisseau voguant sur la mer sombre
Avec un bruit confus de canons et de fers.

Courbant, en mugissant, les chênes centenaires,
La Tempête, qui hurle et pleure par moment,
Précipite les lourds chariots des tonnerres
Sur les vastes pavés d’airain du firmament.

Mais, que m’importe à moi ce spectacle, ô Nature !
Le voile de l’ennui décolore mes yeux ;
Car je souffre en silence une morne torture
À vivre dans ces temps désenchantés et vieux.

Je sentis quelquefois l’Amour, qui m’accompagne,
Hésiter et pleurer, délaissé par l’Espoir ;
Mon sentier s’obscurcit ; la Nuit, qui monte, gagne
La cime immaculée où je voudrais m’asseoir.