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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


LE DÎNER SUR L’HERBE




Nous avions le dîner qu’on trouve à la barrière ;
Elle avait près de moi déposé sans façon
Notre léger panier, qui ne l’occupait guère,
À demi renversé dans le creux d’un buisson.

Nous retrouvions partout la gaîté des dimanches.
La campagne vivait avec des bruits joyeux ;
Sur les chemins du bois, remplis de robes blanches,
Des couples s’appelaient pour commencer des jeux.

On foulait en dansant le tapis des pelouses,
Aux accords de hasard des orgues ambulants ;
Des familles jouaient ensemble, et les épouses
Renvoyaient aux maris la balle ou les volants.

Ces tranquilles plaisirs me jetaient dans un rêve ;
Du bonheur entrevu le charme est singulier.
Dans la pensée avide où le cœur nous enlève,
Mon amour devenait bourgeois et familier.

Elle songeait aussi, perdue en son silence ;
Ses yeux baissés semblaient fermés par le sommeil ;
Et moi, je me disais : « Qui sait, quand elle pense,
Si son rêve d’amante à mon rêve est pareil ? »

Mais elle se leva, pleine de nonchalance.
Sa jupe se froissait aux taillis entrouverts ;
Elle essaya sur l’herbe un léger pas de danse,
Mêlant ses cheveux blonds à des feuillages verts.