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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

Donc, voici la moisson, et bientôt la vendange :
On aiguise les faux, on prépare la grange,
Et tous les paysans, dès l’aube rassemblés,
Joyeux, vont à la fête opulente des blés.
Or, pendant tout ce temps de travail, les aïeules,
Au village, devant les portes, restent seules,
Se chauffant au soleil et branlant le menton,
Calmes et les deux mains jointes surieur bâton ;
Car les travaux des champs leur ont courbé la taille.
Avec leur long fichu peint de quelque bataille,
Leur jupe de futaine et leur grand bonnet blanc,
Elles restent ainsi tout le jour sur un banc,
Heureuses, sans penser peut-être et sans rien dire,
Adressant un béat et mystique sourire
Au clair soleil, qui dore au loin le vieux clocher
Et mûrit les épis que leurs fils vont faucher.

Ah ! c’est la saison douce et chère aux bonnes vieilles !
Les histoires autour du feu, les longues veilles
Ne leur conviennent plus. Leur vieux mari, l’aïeul,
Est mort ; et, quand on est très vieux, on est tout seul :
La fille est au lavoir, le gendre est à sa vigne.
C’est triste, et cependant encore on se résigne,
S’il fait un beau soleil aux rayons réchauffants.
Elles aimaient naguère à bercer les enfants.
Le cœur des vieilles gens, surtout à la campagne,
Bat lentement et très volontiers s’accompagne
Du mouvement rythmique et calme des berceaux.
Mais les petits sont grands aujourd’hui ; ces oiseaux
Ont pris leur vol ; ils n’ont plus besoin de défense ;
Et voici que les vieux, dans leur seconde enfance,
N’ont même plus, hélas ! ce suprême jouet.

Elles pourraient encor bien tourner le rouet ;