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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


LE VIEUX PÊCHER




C’était le vieux pêcher, le grand arbre, l’aïeul
Aux bras ouverts, couvrant tout un mur à lui seul.
L’automne, à le charger de parures vermeilles,
À l’envi du printemps, épuisait ses corbeilles.
Tantôt c’étaient des fleurs à nourrir vingt ruchers,
Et mille essaims joyeux s’y voyaient attachés,
Et le mur, pour voiler son visage morose,
Semblait tenir ouvert un large éventail rose.
Tantôt c’étaient des fruits qu’on eût dit de velours,
Gonflés d’un divin suc et que l’œil jugeait lourds.
Pour mouler une coupe on en eût pris l’empreinte,
Et, dans un pur paros, Praxitèle, sans crainte,
Eût modelé sur eux le sein de ses Vénus.
On eût dit les appas innombrables et nus
De Cérès prenant vie un moment dans cet arbre ;
Puis ils avaient encor ce que n’a point le marbre,
Un frais duvet de pourpre avec de doux parfums.

Tels on vous admirait, pauvres rameaux défunts !
Mais pour tout ici-bas vient l’heure de la tombe :
Qu’on vive un siècle, un jour, homme, rose ou colombe,
Chacun tour à tour paye au destin son tribut ;
Nombreux sont les chemins, mais unique est le but,
Et devant le néant tous les êtres sont frères.

Moi, j’ai fait tristement les apprêts funéraires ;
J’ai pris en main la hache, ainsi qu’un fer sacré,
Et, redoublant mes coups sur ce corps vénéré,
J’ai couché le vieil arbre endormi dans l’allée,