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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


Si son âme comme une lyre
N’a pas vibré sous mon regard ;
Si je lui semble un fou hagard
Dont nul n’a compris le délire,
Poète qu’on ne saurait lire
Et qu’on repousse sans égard…

Si mon rêve est une chimère !
— Je veux la suivre sans dessein.
Sa vue est un breuvage sain.
Où je boirai la joie amère
D’un amour, bonheur éphémère,
Que je veux cacher en mon sein.


(Les Asphodèles)



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L’AUMÔNE





Le lourd soleil de juin a brûlé les campagnes.
Le torrent qui tombait du sommet des montagnes,
Brisant les fleurs, broyant les arbres dans son choc,
Ouvre, comme une plaie énorme dans le roc,
Son gouffre desséché plein de débris informes.
Le ruisseau dont les eaux baignaient le pied des ormes
Et qui courait, avec un murmure confus,
Frais et clair, à l’abri des vieux saules touffus,
Montre à présent son lit de sable triste et vide.
Le chemin est ardent et le champ est aride.
On voit les blés jaunis sécher sans être mûrs.
Les fauves, par milliers, cherchent l’abri des murs,
Épouvantés de voir la forêt sans ombrage.
Les oiseaux étonnés s’appellent ; avec rage,