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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


Te dis-tu que les cieux n’ont jamais eu de maître,
Que l’âme n’est qu’un souffle et que ton œuvre est vain,
Que ton esprit mortel, tout prêt à disparaître,
Par ses illusions, seulement, fut divin ?

Vois-tu l’impérissable et fatale injustice
Te survivre, en riant de tes accents sacrés,
Et l’innombrable essaim des maux invétérés
Pulluler après toi, malgré ton beau supplice ?

Ou bien, — exaspérant et lamentable affront ! —
Pressens-tu qu’en ton nom, un jour, martyr auguste,
Ceux qui se nommeront tes prêtres brûleront
Les chercheurs d’avenir et les soldats du juste ?

Certes, ce n’est point trop que de pleurer du sang
Si, dans les visions de ton heure dernière,
Ton cœur, cruellement inondé de lumière,
Perçoit dans l’avenir les horreurs du présent!

Alors, ô beau rêveur aux paroles sublimes,
Dont les yeux sont restés pleins d’épouvantement
Devant l’affreux désert de ce noir firmament
Et devant cette terre abandonnée aux crimes,

Peut-être qu’en ton cœur chante, comme un adieu,
Un seul et consolant souvenir : Magdeleine
Aimant ton corps divin avec une âme humaine
Et sur tes pieds troués collant sa lèvre en feu !

(Souvenirs d’Anvers)