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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

Mais son esprit, mûri bientôt par les années,
Voit les causes sans fin l’une à l’autre enchaînées,
Et partout, et toujours, dans l’immense univers
Les mêmes lois réglant les faits les plus divers.
Son rêve se dissipe ; il voit sa destinée
Sans lui par une main invisible menée
Vers un but qu’il pressent, mais qu’il ne connaît pas.
Il sait bien qu’il n’est pas le maître de ses pas,
Qu’une force en dehors de lui-même placée
Dirige tout, ses yeux, son geste, sa pensée,
L’entraîne vers le bien, le pousse vers le mal,
Qu’il diffère bien peu du plus vil animal,
Qu’il ne mérite pas l’éloge ni le blâme,
Et qu’enfin il n’est point le maître de son âme.
Dès lors, avant d’avoir vécu, désabusé,
Indifférent aux biens dont il n’a pas usé,
De toute chose humaine il se désintéresse.
Il vit sans passions, sans amis, sans maîtresse ;
Pour lui le monde est fait de mobiles décors
Où pendant quelques jours il promène son corps.
Sa gaîté, s’il sourit parfois, n’est qu’apparente ;
Son âme à tout plaisir demeure indifférente,
Et, voyant tout le mal qu’on fait sans s’étonner,
Il vit pour se soumettre et pour s’abandonner.



BROUILLARD SUR LA PLAINE





Il est nuit ; le brouillard se lève
De l’herbe humide des fossés
Et s’étend, vague comme un rêve,
Sur les horizons effacés.