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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


LES CHEVEUX DE MA MÈRE




Le soir, quand pour dormir elle a défait ses tresses
Et me laisse à genoux baiser ses cheveux longs,
J’aime, en les renattant, à couvrir de caresses
Les premiers fils d’argent éclos dans ces fils blonds.

J’y lis tout un passé de soucis et de craintes ;
J’y vois mes maux d’enfant qui l’ont tant fait souffrir ;
Et chaque nuit veillée a laissé son empreinte
Sur ce front adoré que le Temps va flétrir.

Des efforts qu’elle a faits pour me rendre meilleure,
Plus vaillante, plus sage et plus digne d’amour,
Pour soulager qui souffre et consoler qui pleure,
Chacun de ces fils blancs me représente un jour.

Aussi tous les joyaux et tout l’éclat d’un trône
La rendraient bien moins belle à mes yeux attendris,
Bien moins chère à mon cœur, que la double couronne
De sa bonté pensive et de ses cheveux gris.

C'est pourquoi, quand, le soir, elle a défait les tresses
Qui baignent son front pur de leur reflet changeant,
J’aime à compter tout bas, par autant de caresses,
Entre ces fils dorés les premiers fils d’argent.