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Page:Lemerre - Anthologie des poètes français du XIXème siècle, t4, 1888.djvu/343

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HENRI DE RÉGNIER.


Sous la lune qui veille unique et singulière
Sur l’assoupissement des jardins d’autrefois
Où se dressent, avec des clochettes aux toits,
Dans les massifs fleuris, pagodes et volière :

Les beaux oiseaux pourprés dorment sur leurs perchoirs,
Les poissons d’or font ombre au fond des réservoirs,
Et les jets d’eau baissés expirent en murmures ;

Ton pas est un frisson de robe sur les mousses,
Et tu m’as pris les mains entre tes deux mains douces
Qui savent le secret des secrètes serrures.


II


Nous irons vers la vigne éternelle et féconde
En grappes, pour y vendanger le Vin d’oubli ;
Le soir n’a plus de pourpre et l’aurore a pâli,
Et la promesse ment aux lèvres du Vieux Monde ;

Nous irons vers la rive où triomphe un décor
D’étangs muets et de sites en somnolence,
Où vers une mer morte un fleuve de silence
Bifurque son delta parmi les sables d’or ;

Toi, la Vivante ! et la diseuse de paroles,
Tu voulus m’enchaîner aux nœuds des vignes folles,
J’ai brisé le lien de fleurs du bracelet.

Hors le tien, tout amour, ô Mort, est dérisoire
Pour qui sait le pays mystique et violet
Où se dresse vers l’autre azur la Tour d’Ivoire.


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