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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

quette, Du Silence (1888), que M. Rodenbach s’est montré le poète par excellence des vieilles cités de Flandre, à demi dépeuplées, à demi- mortes, dont il semble avoir pénétré l’âme, tant il en a merveilleusement noté la paix et la tristesse d’agonie. Et chaque fois qu’alors, dans Béguinage, par exemple, il a dégagé son talent personnel et sain d’un excès de littérature acquise et morbide, ce modernisant a su trouver au fond de lui-même des accents de Primitif, ce poète de la Grâce énervée a su atteindre comme un autre à la forte et simple Beauté.

Les œuvres de Georges Rodenbach ont été publiées par A. Lemerre.

Auguste Dorchain.





LE COFFRET




Ma mère, pour ses jours de deuil et de souci,
Garde, dans un tiroir secret de sa commode,
Un petit coffre en fer rouillé, de vieille mode,
Et ne me l’a fait voir que deux fois jusqu’ici.

Comme un cercueil, la boite est funèbre et massive,
Et contient les cheveux de ses parents défunts,
Dans des sachets jaunis aux pénétrants parfums,
Qu’elle vient quelquefois baiser le soir, pensive !

Quand sont mortes mes sœurs blondes, on l’a rouvert
Pour y mettre des pleurs et deux boucles frisées !
Hélas ! nous ne gardions d’elles, chaînes brisées,
Que ces deux anneaux d’or dans ce coffret de fer.

Et toi, puisque tout front vers le tombeau se penche,
Ô mère, quand viendra l’inévitable jour
Où j’irai dans la boite enfermer à mon tour
Un peu de tes cheveux..., que la mèche soit blanche !...


(Les Tristesses)