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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


Elle ne comprend pas nos besoins de tendresses ;
L’éclat de ses couleurs éblouit sans charmer ;
Sa clarté sans pénombre ignore les caresses,
Et ses contours sont durs comme un refus d’aimer.

Je ne sens plus, perdu dans sa splendeur hostile,
Que mon être chétif sort de son flanc divin.
Sa face fulgurante et pourtant immobile
Est une porte close et que je heurte en vain…

Mais là-bas, au pays, la terre est maternelle.
La Nature a chez nous la grâce et l’ondoiement,
Quelque chose qui flotte et qui se renouvelle,
Et des vagues contours le mystère charmant.

Elle a le bercement infini des murmures
Et les feuillages fins dissous dans l’air léger ;
Elle a les gazons frais sous les molles ramures
Et les coins attirants où l’on vient pour songer.

Elle a dans ses couleurs, dans ses lignes fuyantes,
Des indécisions qui caressent les yeux ;
Et j’aime à lui prêter des pitiés conscientes,
Et je me ressouviens du jour de nos adieux.

Je sentais bien, là-bas, que je vis de sa vie
Et que je suis né d’elle, et qu’elle me comprend.
C’est une volupté que cette duperie,
J’ai trop souffert, ici, du ciel indifférent.

Et je veux vous revoir, ô ciel changeant et tendre,
Coteaux herbeux, petits ruisseaux, coins familiers !
Saules, je vous désire ! et je veux vous entendre,
Chuchotements plaintifs des tremblants peupliers…


(Petites Orientales)