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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

Non point un monument ambitieux et vaste,
Pyramide, ou colonne, ou palais plein de faste,
Mais un rien, un atome, une création
Sublime seulement par sa perfection,
Œuvre de patience, œuvre humble, œuvre petite,
Formée avec lenteur comme la stalactite,
Valant un gros poème en sa ténuité,
Et faite pour durer toute une éternité.
Oh ! montrer ce que peut la constance ou l’étude !
Créer avec amour, avec sollicitude !
Laisser un médaillon, réplique dont le prix
Dans deux ou trois mille ans puisse être encor compris !

Vieux lapidaires grecs, dont la main délicate
Installait des Vénus, des Hébés sur l’agate,
Sculpteurs minutieux, artistes qui joutiez
À qui de vous seraient les plus fins bijoutiers !
Que n’ai-je aussi l’outil et la main qui burine
Quelque divin profil ou quelque figurine !
J’eusse fait un cachet richement ouvragé,
Grand comme l’ongle, fruit d’un labeur enragé.
Sur une pierre dure, ou sur un peu d’ivoire,
J’eusse mis tout mon art et mes chances de gloire,
Léguant aux temps futurs un immortel joyau,
Quand je n’aurais sculpté qu’un pépin, qu’un noyau.
Nous mourons par l’excès et par la redondance.
En flacon d’elixir heureux qui se condense !
J’aimerais recueillir cette perle, ce pleur
Filtrant d’un cœur souffrant qu’a fêlé la douleur ;
Puis, comme un moucheron dont chaque frêle membre,
Saisi, momifié dans une goutte d’ambre,
— Sépulcre transparent — se peut voir au travers,
J’embaumerais ce pleur dans l’ambre de mon vers.