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beauté terrible de mes bras ouverts. L’une d’elles peut-être déjà connaissait l’amour : je l’aurais caressée, je lui aurais chuchoté des paroles insidieuses. Mais mon souffle court haletait, me flambait la bouche. Les mots n’auraient pu passer à travers mes dents serrées. Et déjà le temps de la décision virile avait fui. Une langueur lâche m’amollit. Ce fut Misère qui me sauva. Avec un frétillement de la queue, il allait d’elles à moi, et moi à petits pas obliques je vins à mon tour, l’air rusé. J’avais jeté mon bâton dans les fougères. Je ne ressemblais plus à un homme qui a tué dans la forêt.

La plus hardie se mit à rire et toutes trois maintenant se tenaient là, avec une petite fraise dans leurs mains. Je pensai : celle-là sûrement est allée au bois avec d’autres hommes. Je n’aimais pas sa grosse bouche animale. Si j’avais pu choisir, c’eût été la troisième que j’aurais emmenée dans la maison. Son visage ne m’était plus inconnu ; il tournait vers moi de limpides yeux confiants. Cette onde claire de son regard doucement