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Mais nous, jusqu’alors nous n’avions encore pensé qu’à nous mêmes. Nous avions couru par la forêt ivres et nus, comme de libres fils de la nature. L’émoi des feuillages avait joué, en tuniques soyeuses, autour de l’ardeur sauvage de notre amour. Et maintenant un rite nouveau nous était enseigné ; de la maison allait naître le foyer. Je dis à Ève en souriant : « Chère femme, un jour devant toi avec le bout d’un bâton je dessinai le berceau sur le sable. Le vent n’aura pas abattu en vain le vieux hêtre. »

Je tirai cette essence saine et mûre vers l’appentis. Je conjecturai les formes, je rassemblai les outils. Mon cœur battait comme celui d’un jeune artisan voué à une tâche glorieuse. Et puis la varlope commença de faire grincer l’aubier. Je croyais entendre le cri d’un petit enfant. Ève ! Ève ! ne ris pas de ma crédulité. Je t’assure, l’enfant a crié du fond de l’arbre. Les fibres de ce hêtre, dans la forêt antique, déjà contenaient la nef légère où dormira ton fils. Et toutes les vies s’enchaînent dans la durée. Un arbre croît