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les pourpres. J’ai faim et soif du verger de ta chair. Viens sous les arbres où chanta le divin oiseau : l’ombre y fait une douce et profonde musique. » Sa robe tomba ; je crus cueillir la fleur d’amour pour la première fois.

Étant revenus à la maison, nous aperçûmes le Père sur le seuil, tenant le bourdon dans les mains. Et il nous dit : « Les faînes tombaient des hêtres. J’ai vu par dessus la plaine s’effiler le vol en triangle des grues. Il pleut des plumes là où bientôt va floconner la neige. Adieu donc, ô fils, ô fille ! Voici le temps de me remettre en chemin pour là-bas. » Il sembla parler mystérieusement d’un voyage inconnu ; nous ne savions ce qu’il voulait dire. Une tristesse lourde nous accabla ; des liens se déchirèrent ; comme des rives froides de l’exil, Ève et moi le regardions en pleurant. « Père, dit-elle, vers quel là-bas veux tu partir ? » Il leva la main vers le ciel. « Là-bas où elles vont ! » Peut-être il songeait aux files migratrices des oiseaux ; peut être il pensa aux feuilles du bouleau qu’en légère ondée d’or le vent dispersait. Dans ses clairs yeux