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Page:Lemonnier - Adam et Ève, 1899.pdf/335

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ADAM ET ÈVE

se modeler et grandir la petite vie d’Abel comme j’avais regardé grandir la vie d’Ève et d’Héli. La croissance d’un ongle, l’affleure­ ment d’une papille m’émerveillaient comme le prodige d’une naissance infiniment recom­ mencée. L’enfant renaissait dans chacune des mailles souples et élastiques de sa peau de lumière et de soie. C’était la cellule origi­ nelle au tourbillon de la vie. Elle montait, elle levait comme le pain pour la faim de l’u­ nivers, insatiable de postérités. Et des siècles jouaient là sur les gazons avec les petites mains innocentes qui jetaient des gestes d’é­ ternité vers l’ombre. Les voyant ainsi tous deux dans leur beauté nue, je tressaillais d’un grand orgueil de mon corps, car eux et moi étions pareils dans la substance. Cependant c’était bien, ce corps ’ qu’on m’avait appris à mépriser ; toutes mes délices en venaient et il portait les rougeurs de la honte, comme les cinq doigts de la colère du Seigneur. Je ne pouvais le toucher avec mes mains sans que la caresse fleurît au bout de mes doigts. Il était pour moi l’amour et la vo­


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