Page:Lemonnier - Ceux de la glèbe, 1889.djvu/70

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outre rongés d’appréhensions sombres pour l’avenir.

Au reverdissement des feuilles, tous deux se virent maigres comme des clous, leur cuir collé sur les os, avec le relief saillant des vertèbres. Le Forgeu, dans les pluies, avait pris une vilaine toux qui lui raclait la gorge ; la Lise était tenaillée par des crampes d’estomac ; et quelquefois le Caco, moins démoli qu’eux, avec ses trois pommes de terre dans le gésier, sournoisement les regardait, se gaussant à l’idée qu’ils pourraient crever avant lui. Tout l’hiver ils s’étaient alimentés de « crompires », n’ayant mangé de la viande de porc que deux fois, à la Toussaint et à la Noël, avec des passées de chicorée pour unique boisson. Terrés dans leur maison, ils vivaient en dehors du reste du monde, sans voir personne, pas même leur famille, par crainte de la dépense. Et leur taciturnité était devenue si grande qu’il en oubliait ses vingt mots, tout de suite à court, la bouche bée, et que chez elle la voix tourna à une raucité d’aboie-