Page:Lemonnier - Gros, Laurens.djvu/107

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

À côté de ces gammes variées, qu’on se rappelle le Départ de Louis XVIII, où il n’y a guère qu’une tonalité, celle du gros bleu ou du noir des uniformes et des livrées, ravivée seulement, dans la demi-obscurité de l’escalier, par la lueur des flambeaux que portent deux valets de pied, et on aura une idée — incomplète — des ressources d’invention mises en œuvre par Gros. Alors on ne s’étonnera pas que tous ses contemporains aient salué en lui un coloriste et qu’il reste tel pour nous aujourd’hui.

La Bataille d’Aboukir elle-même contient des parties de peintre. Le fond, toujours un peu rosé, est lumineux, et la masse des escadrons qui s’y précipite est traitée avec la liberté et la fougue de pinceau d’un artiste supérieur aux procédés. On remarquera particulièrement les beaux tons rouge, jaune et vert, du costume du vieux pacha, le rouge vermillon très audacieux de l’homme étendu près du cheval de Kléber. Et s’il y a de déplorables trucs d’atelier dans le dessin de certains bras, de certaines mains et de certaines jambes énormes, la figure d’un jeune officier vêtu de vert, dans le groupe de gauche, et une tête de nègre, dans le bas du groupe de droite, sont d’une largeur d’exécution et d’un réalisme très vigoureux.

Pour bien sentir la portée de ce réalisme d’une part et, d’autre part, la puissance poétique de l’âme de Gros, il faut, comme nous l’indiquions en passant à propos du Champ de bataille d’Eylau, comparer ses tableaux avec quelques-unes des productions de l’époque. On doit songer