Page:Lemonnier - Gros, Laurens.djvu/110

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la couleur : toutes qualités en faveur desquelles l’art et la nature ne sauraient trop étroitement s’embrasser. »

À vrai dire, lorsqu’on examine la façon dont la plupart des peintres traitèrent les sujets contemporains quand ils essayèrent de les représenter dans leur réalité, quelle sécheresse, quelle froideur, quelle méconnaissance de la vérité sous les apparences de l’exactitude ! Si l’on excepte des œuvres fortes, telles que la Distribution des aigles, par David (où le défaut grave est dans l’expression ampoulée et déclamatoire), la Révolte du Caire, par Girodet (où le défaut grave est dans l’extraordinaire complication des actions partielles et dans la tension de tous les personnages et de tous les gestes), on ne trouve généralement dans les autres que de sèches compilations d’actions militaires. On ne saurait imaginer quelque chose de plus médiocre que le Passage du Saint-Bernard, de Thévenin, de plus conventionnel dans son arrangement, de moins héroïque, que la Bataille d’Austerlitz, de Gérard. Et quand on a constaté certains mérites anecdotiques ou pittoresques dans quelques tableaux de Bacler d’Albe, de Taunay, de Carle Vernet, on leur a rendu toute la justice qu’ils méritent.

Gros seul a su peindre, non seulement dans ses grandes toiles, mais dans ses portraits, l’épopée de l’Empire, ses gloires et ses malheurs, car Eylau, par l’extraordinaire pensée qui détermina le choix officiel du sujet, mais surtout par le génie de l’artiste, fait songer à la retraite de Russie et semble à l’avance la symboliser. En même