Page:Lemonnier - Gros, Laurens.djvu/113

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

temps, que de personnages vibrants n’a-t-il pas créés ! Lassalle, Fournier-Sarlovèze, Murat, Napoléon vivent à jamais dans la vision de ceux qui les ont connus par lui, et chacun avec leur caractère. Delacroix n’a pas craint de parler d’Homère à propos de l’artiste. Abritons-nous derrière son autorité pour dire que c’est en effet la même simplicité, la même naïveté, le même naturel, s’élevant sans effort apparent, sans déclamation (nous parlons des quelques grandes œuvres), jusqu’à la poésie ou à l’éloquence.

Mais Gros, comme l’a très bien vu Delacroix, veut que la peinture exprime certains détails : « Dans les belles parties de ses ouvrages, on ne lui a jamais su assez gré de la naïveté singulière et en même temps de l’audace de certaines inventions, qui semblent interdites à la peinture, mais dont l’effet est immense quand la tentative est heureuse. Il sait peindre la sueur qui inonde la croupe de ses chevaux au milieu de la bataille et presque l’haleine enflammée qui sort de leurs naseaux ; il vous fait voir l’éclair du sabre au moment où il s’enfonce dans la gorge de l’ennemi… Dans le Champ de bataille d’Eylau, le cheval de Napoléon a les jambes visiblement mouillées et trempées de neige jusqu’au-dessus du genou. Le peintre montre dans le même tableau, auprès d’un tas de morts dont on aperçoit vaguement les formes au milieu de la fange, un fusil abandonné, dont la baïonnette est tordue et couverte de glaçons ensanglantés. J’insiste sur cette poésie des détails qui est propre à Gros : je crois cette