Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/160

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Ils entrèrent chez un épicier qui tenait aussi un débit, et Capitte, heurtant le comptoir, commanda :

— Du france !

Injectée et houleuse sous le furieux rebroussement du poil, sa prunelle blessée dansait frénétiquement dans l’orbite, comme une boule de jongleur au bout d’un bâton. Le premier verre avalé d’un trait, il en demanda un second, puis un troisième.

— Tope là ! meugla-t-il sur le seuil en broyant la main de Créquion. J’suis mon homme, à c’t’ heure.

Patraque le vit s’engouffrer comme un vent aux Fanfares. Pour lui, se coulant le long des murs, il fila droit au logis, monta à son grenier, là se dégonfla dans un long rire.

Capitte, en entrant, avait trouvé le café vide. Dans la chambre du fond, Huriaux jouait avec sa Mélie.

— Couche la-petite, lui dit-il, y a des nouvelles.

Puis en pleine face, avec une brutalité de pandour, il lui lâcha cet exorde :

— Ta femme est pus ta femme. Elle est la femme au rouleur à Malchair. J’ les ais vus qui cavalaient à l’ Saut-du-Leu.

Jacques d’abord tournoya sur lui-même, assommé, sans une parole ; mais presque aussitôt après, sautant à la gorge du borgne, il rauqua :

— Dis qu’ c’est pon vrai, ou t’es mort.

Capitte lui rabattit les poignets, triste, toute sa férocité tombée :

— On est des vieux amis, hon ? Ben, ce qu’jé té dis, j’lai vu. Pt’et’ ben qu’i sont cor’là !

— Arrive !

Et déjà Jacques, tête nue, était descendu à la rue, se ruait en avant, affolé, le sang lui pétant de dessous les paupières, oubliant tout, et la maison sans gardien, et Mélie seule dans son berceau, avec Capitte à ses trousses courant du même pas que lui.

Ils dépassèrent les dernières maisons, s’élancèrent sur la montée à corps perdu. Huriaux, les dents serrées, à présent lui adressait une question, qu’il répétait indéfiniment, toujours la même.

— T’étais là, dis, Berlu !